Parfaire le mélange de cultures

par Janet Wallace

Les producteurs en serre et de nombreux jardiniers des marchés fermiers ont recours à des mélanges de cultures de grande qualité pour cultiver des semis en santé à écouler sur leurs marchés en expansion.

 

Une serre remplie de mélanges de cultures expérimentaux pour la production de greffons. Photo de Martine Dorais.Pour les producteurs de produits certifiés biologiques, un mélange de cultures doit être conforme à la norme biologique et aux besoins des semis tant sur le plan des nutriments, de la rétention d’eau et de la porosité. De plus, ces mélanges doivent être abordables et durables. La plupart des mélanges de cultures commerciaux ne conviennent pas aux producteurs biologiques parce qu’ils contiennent des ingrédients interdits tels qu’engrais synthétiques et agents mouillants. Constatant le besoin de mélanges de cultures acceptables en production biologique, les chercheurs de la Grappe scientifique biologique (GSB) ont évalué les ingrédients potentiels des mélanges de cultures biologiques.

La tourbe

Un ingrédient commun des mélanges de cultures est la tourbe. La tourbe retient l’eau et l’air mieux que la plupart des autres matériaux, est légère et ne se décompose pas rapidement. Cependant, elle ne contient pas de nutriments. Elle est acide et un tampon, tel que la chaux, doit être ajouté pour balancer le pH. La tourbe tend également à repousser l’eau. Conséquemment, les agents mouillants, qui sont interdits par la norme biologique, sont souvent ajoutés à la tourbe. Les agriculteurs biologiques doivent utiliser une tourbe non traitée et la tremper dans l’eau chaude de nombreuses heures avant de l’utiliser.

Au-delà de ces difficultés logistiques, il y a des conséquences environnementales à l’utilisation de tourbe. La tourbe est récoltée ou extraite des zones humides, qui sont des écosystèmes sensibles et souvent menacés.  La tourbe se renouvelle à un faible taux d’un millimètre par année -  elle n’est donc pas renouvelable à court terme. La sphaigne canadienne est souvent considérée comme étant plus durable que la tourbe américaine faite à base de carex. Le carex se trouve dans les écosystèmes en danger, à la différence des tourbières à sphaigne canadiennes plus courantes. Toutes les tourbes agissent comme des réservoirs de dioxyde de carbone; c’est pourquoi la récolte de la tourbe peut contribuer au réchauffement climatique.

La fibre de l’écale de noix de coco, appelée fibre de coco, est aussi souvent vendue comme solution de rechange à la tourbe. Cependant, vu le coût environnemental du transport de cette matière depuis les tropiques, il est discutable que ce choix soit écologiquement acceptable pour les Canadiens. Les chercheurs évaluent les solutions de rechange locales telles que les déchets compostés de l’industrie forestière.

Les Drs Derek Lynch et Gopal Bhatta, du Collège d’agriculture de Nouvelle-Écosse, ont cultivé des semis de tomates sur 12 mélanges de cultures.1 L’un de ces mélanges était constitué de tourbe à 100%. Les autres contenaient 40-60% de tourbe, 20% de compost, 0-30% de perlite, 0-10% de fibre de pulpe et 10-40% d’écorce de bois tendre vieillie. La chaux a été ajoutée pour ajuster le pH et des engrais biologiques liquides ont été appliqués.

La culture des tomates sur la tourbe pure a donné de meilleurs résultats que celle des tomates cultivées sur les mélanges. Les semis cultivés sur la tourbe étaient plus larges et assimilaient plus d’azote en comparaison des cultures sur mélanges composés de sous-produits forestiers. L’utilisation des produits à base de bois pose le défi de l’immobilisation de l’azote causée par ces matériaux riches en carbone.

Le compost

Le compost peut être utilisé pour remplacer en entier ou en partie la tourbe dans les mélanges de cultures. Il peut être fait sur la ferme en utilisant des déjections animales et de la litière ou, simplement, des matières végétales. Pour les mélanges de cultures, la quantité de compost utilisé « varie souvent de 20% à 33%...  Le compost est rarement utilisé seul comme médium de cultures, car il est trop poreux et le taux de sels solubles y est fréquemment trop élevé. »3

Le compost fournit les nutriments principaux et les oligo-éléments. Dans une étude où était utilisé un compost fait de paille et d’algues, les semis ont mieux crû dans un mélange de compost et de terreau commercial biologique dans une proportion de 2 :1 (poids humide) en comparaison des semis cultivés uniquement dans un compost, ou dans des mélanges contenant moins de compost.4 D’autres études ont montré que les semis de légumes biologiques poussaient mieux dans un compost seul ou un compost mélangé avec de la tourbe, de l’écorce et du sable que dans les mélanges commerciaux à base de tourbe.5,6

Un mélange laineux pour les semis  
Bien que l’hydroponie ne soit pas permise en agriculture biologique, les producteurs peuvent s’intéresser à une étude de culture de concombres dans des systèmes hors sol.2 Les plantes étaient cultivées sur des plaques de tourbe, fibre de coco, perlite, laine de roche et laine de mouton. Les résultats? Les résultats ont été les meilleurs avec la laine de mouton. Peut-être que les déchets de laine peuvent être un ingrédient local et durable des mélanges de cultures.

Pour stimuler la capacité d’un compost de supprimer les maladies:
Assurez-vous que l’extérieur du tas de compost demeure humide, tournez-le et incorporez-y une petite quantité d’écorce.

Les avantages du compost vont au-delà de NPK. Le compost non stérilisé contient des microorganismes bénéfiques qui améliorent l’assimilation des nutriments par les semis. Une étude a montré que les semis de melon biologique poussaient mieux dans les mélanges contenant de 30% à 50% de compost, en comparaison des mélanges faits de tourbe, fibre de coco et perlite.7 Les semis étaient fertilisés et ne manquaient pas de nutriments, ce qui suggère que la vie microbienne du compost présente d’autres avantages.

Pendant des dizaines d’années, les producteurs biologiques ont reçu comme directive de stériliser les mélanges de cultures. Les producteurs traitaient le compost en le chauffant au soleil sous un plastique ou dans le four de la cuisine dans le but de tuer la vie microbienne.  Plusieurs ont ignoré ce conseil et utilisé le compost en entier avec les microbes et les vers. Et cela a fonctionné.

Le compost mature non stérilisé peut supprimer les maladies terricoles, incluant la fonte de semis, le pourridié et la flétrissure. Cet effet semble provenir des microorganismes, particulièrement les champignons et actinomycètes qui prolifèrent dans le compost au cours du stade de maturation.8,9 Le compost produit dans les aires ouvertes près d’une forêt sera vraisemblablement plus apte à supprimer les maladies que le compost produit en milieu fermé.10

Le lombricompost

En lombricompostage, les vers digèrent les matières organiques et excrètent des turricules. Le lombricompost diffère du compost parce il est fait à des températures modérées, alors que le compostage se déroule à des stades de température élevée. Il en résulte que le lombricompost et le compost matures ont des communautés microbiennes différentes.

Le lombricompost est fort valable dans les mélanges de cultures, car il:

  • contient diverses populations de microorganismes;
  • retient bien l’humidité;
  • contient des nutriments tels que N, K, P, Ca et Mg sous des formes assimilables par les plantes;
  • contient les hormones de croissance des plantes et les acides humiques qui peuvent agir comme régulateurs de croissance des plantes;11
  • affiche un plus grand potentiel de suppression des maladies que le compost régulier;11
  • peut réduire les dommages causés par les ravageurs, incluant les kermès, pucerons, tétranyques,  piérides du chou, sphinx de la tomate et chrysomèles du concombre.12

En général, le lombricompost « qu’il soit utilisé comme additif du sol ou comme composant d’un médium horticole, a amélioré la germination des semences de même que la croissance et le développement des semis ».11

Sources de nutriments

Bien que le médium initial de germination ne requière pas de nutriments, les semis requièrent des engrais liquides ou solides une fois qu’ils sont en pot. Les résultats préliminaires d’une étude de la GSB, menée par les Drs Martine Dorais, Valérie Gravel et leurs collègues de l’Université Laval, montrent que les greffons de poivrons biologiques réagissent mieux quand ils reçoivent des engrais liquides et solides, en comparaison des semis qui ne reçoivent qu’un seul type d’engrais.13 Les engrais solides utilisés dans les mélanges de cultures étaient des farines de crevettes et de varech.

Une autre étude de cette équipe a montré que de n’utiliser que la moitié des concentrations recommandées d’engrais solides a produit des greffons de légumes de grande qualité.14 Dans ce cas, l’engrais solide était un mélange de farine de crabe, farine de varech, compost, guano et farine de plumes. Les plants de poivrons étaient plus affectés par le type d’engrais que les tomates ou concombres, possiblement à cause du temps plus long requis pour le développement des poivrons. Il semble y avoir des solutions de rechange biologiques viables pour fournir les nutriments qui soutiennent la croissance des greffons et plantes en pots.

Les inoculants

L’intérêt récent à l’égard de la vie microbienne a encouragé les producteurs (et les fournisseurs de mélanges de cultures) à ajouter des inoculants au sol afin d’améliorer l’assimilation des nutriments, supprimer les maladies et promouvoir la croissance des plantes. Les inoculants incluent les champignons tels que Trichoderma spp. et le champignon mycorhizien Glomus spp. Alors que les semis de certaines espèces (p.ex. le chou) bénéficient de ces inoculants, d’autres (p.ex. la laitue) peuvent en être négativement affectés. En général, les effets des additifs microbiens sur les semis ne sont pas  cohérents.15

À l’Université Laval, les chercheurs de la GSB ont découvert que bien qu’une espèce de Trichoderma vendue sous la marque Rootshield augmente l’activité biologique des mélanges de cultures, elle n’avait aucun effet sur la croissance des greffons de poivrons.13

Le biochar peut être ajouté au sol pour stimuler l’activité microbienne et augmenter la disponibilité des nutriments. Son rôle dans les mélanges de cultures demeure cependant incertain pour le moment. Après l’analyse des résultats préliminaires de l’étude utilisant du biochar dans les mélanges de cultures, Valérie Gravel déclare, « Dépendamment de l’espèce végétale, un amendement élevé en biochar (1 :1, v :v) avait des effets positifs, nuls ou négatifs sur la croissance. »16

Quelques recettes, incluant celles des mottes de terre pressées, peuvent être consultées.17 Quelques-unes sont imprimées plus bas  (avec la permission de eXtension eOrganic Community of Practice).

Recettes
La recette idéale pour les mélanges de cultures variera en fonction du type et du stade de croissance des plantes, la disponibilité des matériaux, le temps, le budget et les méthodes des agriculteurs. Idéalement, les producteurs biologiques devraient tester leur compost avant de  l’utiliser et s’assurer que tous les ingrédients sont conformes à la Norme biologique canadienne. L’envoi au laboratoire de compost ou de mélanges de cultures faits à la ferme peut fournir des informations sur la disponibilité des nutriments. Pour avoir une idée de la disponibilité des nutriments et autres caractéristiques, les producteurs peuvent planter quelques semis à l’avance. Si les semis ont un taux de germination acceptable et semblent vigoureux, le mélange sera vraisemblablement approprié pour les autres cultures.

Mélange Cornell à base de sol
1/3 de compost mature ou terreau de feuilles criblés
1/3 de terre végétale de jardin
1/3 de sable aigu
Un engrais biologique [incluant la  chaux de perlite] peut être ajouté à cette base.

Mélange Cornell sans sol
1/2 verge cube de sphaigne
½ verge cube de vermiculite
10 livres de farine d’os
5 livres de calcaire moulu
5 livres de farine de sang

Les trois recettes suivantes sont adaptées du livre d’Eliot Coleman The New Organic Grower. [Pour les détails  sur la fabrication et l’utilisation des mottes de terre pressées, se référer aux livres de Coleman)

Recette de blocs de mélanges pressés

3 seaux (seaux standard de 10­ pintes) de tourbe brune
1/2 tasse de chaux (bien mélanger)
2 seaux de sable ou de perlite à grain grossier
3 tasses d’engrais de base
1 seau de terre
2 seaux de compost

Recette de larges quantités de mottes de mélanges pressées
30 unités de tourbe brune
1/8 unité de chaux
20 unités de sable ou de perlite à grain grossier
¾ d’unité d’engrais de base*
10 unités de terre
20 unités de compost

Recettes pour les minimottes
16 parties de tourbe brune
¼ partie de phosphate colloïdal
¼  partie d’argile verte
4 parties de compost (bien décomposé)

Note: Si l’argile verte n’est pas disponible, n’en utilisez pas. N’y substituez pas un produit d’algue séchée.

*L’engrais de base de Coleman est composé de farine de sang, phosphate colloïdal et d’argile verte, mélangés ensemble en parties égales. Vérifiez-en l’approbation avec votre organisme de certification : des restrictions s’appliquent à l’utilisation de farine de sang.

Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada, Jardinerie Fortier, Les Serres Frank Zyromski Inc., Les Serres Lefort Inc., Les Serres Nouvelles Cultures et Les Serres Sagami 2000 Inc.

La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.


Références

  1. Bhatta, G, C Marshall & D Lynch. 2012. Composts and forestry industry waste as peat moss substitutes in greenhouse growth media. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  2. Böhme, M, J Schevchenko, I Pinker & S Herfort. 2008. Cucumber grown in sheepwool slabs treated with biostimulator compared to other organic and mineral substrates. Acta Hort. 779:299–306.
  3. Rynk, R. 1992. On-Farm Composting Handbook. NRAES.
  4. Manenoi A, W Tamala, A Tunsungnern & P Amassa. 2009. Evaluation of an on-farm organic growing media on the growth and development of pepper seedlings. As. J. Food Ag-Ind. S75–80.
  5. Clark, S & M Cavigelli. 2005. Suitability of composts as potting media for production of organic vegetable transplants. Compost Sci. 13(2):150–156
  6.  Raviv, M, B-Z Zaidman & Y Kapulnik. 1998. The use of compost as a peat substitute for organic vegetable transplants production. Compost Sci. Utiliz. 6(1):46–52.
  7. Tittarelli, F et al. 2009. Compost based nursery substrates: effect of peat substitution on organic melon seedlings. Compost Sci. Utiliz. 7(4):220–228.
  8. Raviv, M. 2008. The use of compost in growing media as suppressive agent against soil-borne diseases. Acta Hortic. 779:39–50.
  9. Wohanka, W, S Bodenburg & HD Molitor. 2008. Disease suppressiveness and microbial communities of flax straw compost. Proceedings of the International Symposium on Growing Media. 10–51.
  10. Kuepper, G & K Everett. 2004. Potting Mixes for Certified Organic Production. ATTRA.
  11. Edwards, CA & NQ Arancon. 2006. The science of vermiculture. Proceedings of the International Symposium on Vermi Technologies for Developing Countries.
  12.  Atiyeh, RM, S Subler, CA Edwards, G Bachman, JD Metzger & W Shuster. 2000. Effects of vermicomposts and composts on plant growth in horticultural container media and soil. Pedo. biol. 44:579–590.
  13. Gravel, V, M Dorais & C Ménard. 2012. Organic fertilization and its effect on development of sweet pepper transplants. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  14. Gravel, V, M Dorais & C Ménard. 2012. Organic production of vegetable and herb transplants. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  15. Gruda, N, MJ Maher & M Prasad. 2008. The effect of microbial additives in organic substrates on plant growth and some quality parameters. Acta Hort. 779:79–84
  16. Gravel, V, M Dorais & C Ménard. 2012. Biochar used in combination with organic fertilization for potted plants: its effect on growth and pythium colonization. Proceedings of the 2012 Canadian Organic Science Conference.
  17. Wander, M. 2012. Organic potting mix basics. eXtension.