L'immunologiste des pommiers
Gordon Braun, un phytopathologiste écologique
par Nicole Boudreau
Gordon Braun cherche des substances qui stimuleront les résistances naturelles des arbres. Le concept à la base de son travail est simple: comme les vertébrés, tels les êtres humains, les arbres déploient des mécanismes de résistance face aux maladies, mais ils deviennent parfois malades parce les agents pathogènes sont capables de vaincre cette résistance, souvent en réagissant plus vite que la plante. Alors, Gordon Braun, un chercheur d’Agriculture et Agroalimentaire Canada basé dans la vallée d'Annapolis en Nouvelle-Écosse, travaille sur la dynamisation des mécanismes de résistance de la plante, pour la prémunir avant que les agents pathogènes ne l’attaquent: la plante sera alors prête à se défendre et capable de se protéger.
Une plante peut réagir de diverses façons à une attaque par des agents pathogènes. Lorsqu’il attaque un arbre, l'agent pathogène exsude divers produits chimiques pour briser la paroi cellulaire et extraire les éléments nutritifs de la plante, ce qui provoque la maladie. Mais, les plantes peuvent produire des substances qui neutralisent ces produits chimiques et freinent ou ralentissent le processus de la maladie.
Plus de 30 protéines produites par les plantes en réponse à la maladie ont été identifiées ; elles sont appelées protéines reliées à la pathogénèse – ou protéines PR. Bien qu’il ne soit pas exactement compris comment ces protéines PR suppriment la maladie, elles sont reconnues comme faisant partie du processus de résistance et sont présentes lorsque survient une réaction de défense dans un arbre. "Nous connaissons certains des produits chimiques impliqués, mais tout le monde est à la recherche du signaleur chimique. Il est présumé qu'une substance chimique envoie un signal qui est propagé à l’ensemble de l'arbre pour annoncer qu'une maladie se pointe et que la plante doit se préparer, mais personne n'a identifié ce signaleur. Nous connaissons certains des produits chimiques de la réaction en chaîne du système de défense, mais il nous manque encore le tout premier agent signaleur», explique Braun.
Pour tout comprendre de la réaction de défense des arbres, Braun injecte directement dans le tronc des arbres des substances dérivées de micro-organismes pour induire une réaction de défense, tels que des extraits du champignon Venturia inaequalis qui provoque la tavelure du pommier, la maladie qu’il souhaite contrôler, et des extraits de bactéries pathogènes.
La réponse d'un arbre à l’injection d’une substance pathogène tend à être de courte durée, peut-être seulement de 7 jours. Mais l’énergie que l'arbre investit pour se défendre contre la maladie ne peut pas être utilisée pour sa croissance ; Braun et son équipe doivent donc trouver un équilibre entre la résistance aux maladies et la croissance des arbres. "Il s’agit simplement d’y consacrer beaucoup de travail et il faudra du temps. Cependant, les avantages liés à ce type de contrôle des maladies en valent bien le coût et l'effort », explique Braun, qui cherche aussi divers autres produits chimiques qui ont le même effet, ou une combinaison de substances chimiques qui pourraient induire plus d'une réaction à la maladie.
Parmi les produits végétaux naturels reconnus comme faisant partie de la réaction de résistance aux maladies, les chercheurs ont identifié l'acide salicylique, la substance active de l'aspirine. Les plantes, comme les humains, utilisent donc l’ «aspirine» pour guérir les maladies.
«Ma vision était d'injecter un composé hydrosoluble comme l'acide salicylique sous l'écorce de l'arbre où il va lentement se dissoudre dans le flux du xylème et monter dans les feuilles. Ce serait un processus de libération lente qui pourrait fournir une protection pendant toute une saison suite à une seule application au début du printemps."
À la connaissance de Braun, les expériences d’injections d'acide salicylique n’ont jamais été tentées dans une plante ligneuse, mais théoriquement cela devrait fonctionner. Le principal défi lié à cette approche est de trouver un moyen économique pour faire circuler la substance dans l'ensemble des feuilles de l'arbre.
Braun a décidé d'étudier la science agronomique de la production de fruits après avoir travaillé comme étudiant sur les exploitations fruitières du sud de l'Ontario, où il est né.
«Je voyais beaucoup de fruits pourris et je pensais que nous devions faire quelque chose" commente Braun, qui a fait un doctorat à l'Université de Guelph sur l'épidémiologie du Botrytis, la pourriture grise qui affecte les cultures de fraisiers. Il a ensuite joint AAC en Nouvelle-Écosse, où il travaille depuis 25 ans comme phytopathologiste, étant clairement motivé par la réduction de l'utilisation de produits chimiques pour le traitement des maladies des plantes.
«Mon approche était de réduire les pulvérisations pour contrôler la tavelure du pommier. Il est financièrement avantageux pour les cultivateurs de réduire l'utilisation des pesticides, mais mon intérêt premier était de réduire l'impact environnemental lié aux pesticides. Les pesticides ne tuent pas seulement les agents pathogènes, ils détruisent les champignons utiles du sol qui sont très importants dans le recyclage des nutriments et ils peuvent atteindre les réseaux hydrographiques, comme les ruisseaux et les puits », explique Braun. Et sa persévérance a porté fruit, car il a été impliqué dans la réussite de nombreux projets agricoles « durables».
L’un de ces projets axé vers la durabilité a été de traiter la maladie de la replantation du pommier avec du compost. Cette maladie, qui s’attaque aux racines des pommiers et ralentit leur croissance, est traditionnellement traitée par l'application de fumigants qui sont toxiques et tuent bien plus que les agents pathogènes ciblés. Le compost était déjà utilisé pour aider à combattre cette maladie, mais sans résultats concluants. Braun a innové en réévaluant la méthode d’application du compost - plutôt que de le mélanger à la surface du sol sous les arbres, il a creusé une tranchée qu’il a remplie avec du compost, en recouvrant le tout avec du sol, puis a planté les arbres dans cette tranchée. L'arbre peut alors produire des racines qui croissent dans un compost exempt d'agents pathogènes, abondamment humide et comprenant des nutriments qui sont libérés lentement avec le temps. Cette méthode crée un très bon départ dès la première année de la plantation de l’arbre, permettant aux arbres cultivés dans le compost d’atteindre deux fois la taille des arbres plantés dans un sol conventionnel.
Braun travaille également sur la maladie bactérienne appelée tache angulaire des fraisiers. Les maladies bactériennes sont très difficiles à traiter parce que les bactéries ne répondent pas bien aux produits chimiques. Certains ont envisagé de recourir à l'utilisation d'antibiotiques, mais les organismes de contrôle des pesticides n'aiment pas promouvoir l’utilisation des antibiotiques dans les champs, un traitement qui devrait être limité aux humains. A la recherche d’une solution de rechange, Braun a découvert par hasard une substance qui est un composé très simple, non toxique, naturel et biologique utilisé avec toutes sortes de produits alimentaires et qui contrôle étonnamment bien la maladie, au-delà des attentes.
Dépister les microorganismes pathogènes n'est pas une tâche facile, admet Braun. «Contrairement aux insectes ou aux mauvaises herbes, vous ne pouvez pas les voir. C'est là le problème. Vous ne voyez pas les spores ou les cellules bactériennes qui flottent dans l'air - elles viennent de nulle part quand vous ne vous attendez pas à les voir apparaître et provoquent des maladies. Et lorsque la maladie est observable, il est trop tard. Et vous ne pouvez pas vendre les pommes qui ont des taches, les gens ne les achètent pas", explique Braun, ajoutant que le printemps humide et frais de la Nouvelle-Écosse est très propice à la tavelure du pommier, à la différence des zones sèches telles que la vallée de l'Okanagan ou l'État de Washington. Mais l’Association des producteurs de fruits de la Nouvelle-Écosse coopère assidument et soutient les travaux de Braun, qui fera de la recherche quelque soit le budget qui lui sera alloué. Il observe également qu’AAC l’a toujours soutenu dans tous les projets qu'il a faits.
Doté d’un esprit très curieux, Braun s’émerveille de découvrir comment fonctionne la nature. Il prévoit travailler dans le Tiers Monde une fois à la retraite. En attendant, il cultive sa patience en regardant les arbres qui poussent très lentement, et il combat le stress en se promenant sur sa moto.
À la fin d’une journée stressante, quand le temps est agréable, une balade sur sa moto Honda VTX Custom le détend merveilleusement bien avant qu’il ne rentre à la maison. Cette détente l’immunise sûrement contre les microbes ; il est maintenant scientifiquement prouvé que le plaisir fonctionne mieux que l'acide salicylique pour soulager le stress!
Cet article est d’abord paru dans l’édition spéciale Été 2012 du “Canadian Organic Grower” consacrée à la recherche. Cette édition spéciale du TCOG est publiée grâce au soutien de la Grappe scientifique biologique. Les projets de la Grappe scientifique biologique décrits dans cet article ont été financés par Agriculture et Agroalimentaire Canada.
La Grappe scientifique biologique du Canada (GSB) fait partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, une initiative fédérale-provinciale-territoriale. La GSB est dirigée par le Centre d’agriculture biologique du Canada et par le demandeur principal de l’industrie, la Fédération biologique du Canada.