Cultiver sans labour ou presque dans les Prairies canadiennes
Centre d'agriculture biologique du Canada
Agriculteurs biologiques et chercheurs tentent de trouver des méthodes permettant de réduire le travail du sol. En effet, les effets pervers du labour sont bien connus : le sol devient plus sujet à érosion, des organismes du sol sont tués et les opérations coûtent cher en temps et en carburant. Néanmoins, le labour garde son importance pour maîtriser les populations de mauvaises herbes (adventices), stimuler le recyclage des nutriments, interrompre les cultures d’engrais verts et enfouir les résidus végétaux. Le défi que la recherche biologique se propose de relever consiste donc à garder les avantages du labour tout en réduisant les opérations de travail du sol.
Bien que de nombreuses techniques sans labour ou avec un travail du sol réduit soient mises en œuvre dans les fermes biologiques, beaucoup pensent que des interventions demeurent nécessaires pour interrompre et enfouir les cultures d’engrais verts. Si des moyens d'éviter l'enfouissement et de réduire le travail du sol requis pour tuer les futurs engrais verts sont trouvés, les agriculteurs biologiques pourront se rapprocher de la culture biologique sans labour ou « zéro labour ». Les techniques ci‑après sont à l’essai.
Cultivateur à larges lames
L'idée d’utiliser un cultivateur à larges lames pour décolleter les mauvaises herbes sans perturber la surface du sol n'est pas neuve. Charles Sherwood Noble, agriculteur albertain, l’a introduite dans les années 1930 avec la « lame Noble », afin de promouvoir la préservation des sols. Dans les régions semi‑arides, elle s'est avérée aussi performante que le zéro labour pour retenir le carbone organique du sol, qui se perd avec les techniques intensives habituelles. Le cultivateur à lames a laissé jusqu’à 85 % de résidus de culture sur le sol et restreint efficacement la prolifération d’adventices annuelles.
Rouleau à lames
Avec ses lames, ce rouleau pince les plantes de la culture d’engrais vert sur laquelle il est tiré et les écrase. Les plantes sèchent et meurent ancrées au sol, formant un paillis. La technique, bien implantée en Amérique latine où elle sert à réduire le travail du sol, est promue internationalement par le Rodale Institute.
Les premiers essais à Carman (Manitoba) ont donné des résultats mixtes. L’utilisation du rouleau pour interrompre une culture d’engrais verts d’avoine et de pois a été un succès : écrasées à la fin du mois de juillet, la plupart des plantes sont mortes. La couverture obtenue était belle et encore efficace après 12 mois. Mais certains bénéfices nutritifs de l’engrais vert étaient perdus. En effet, davantage d’azote (5 à 10 % environ) a fui dans l’air avec le roulage qu’avec le labour. De plus, la culture de blé subséquente a disposé de moins d’azote (le rendement en blé était inférieur avec l’engrais vert roulé, comparé à l’engrais vert enfoui).
À Saskatoon, les regains de mauvaises herbes et d’engrais verts ont été moindres lorsque la culture d’engrais vert s’est terminée par le passage du rouleau à lames, comparativement au fauchage ou au labour. Pendant un an, les rendements en blé ont été inférieurs avec le rouleau à lames, mais cela n’est pas demeuré vrai sur l’ensemble de l’essai.
Interruption de culture d’engrais vert par le bétail
Le pacage est probablement la méthode la plus originale d’interruption d’une culture d’engrais vert! Pourtant, elle consiste simplement à retourner au système naturel. En effet, environ 80 % des nutriments ingérés par les bêtes sont restitués au sol et le bétail comporte un avantage économique.
Lors de l’essai mené à Carman (Manitoba), le pacage en pleine floraison a permis d'interrompre efficacement toutes les cultures d'engrais verts de légumineuses. Les effets sur l’azote observés dans les deux lieux d’essai n’étaient pas les mêmes. Le rendement de la culture de blé subséquente n’a pas été affecté par le pacage.
Paillis anti‑mauvaises herbes
Lorsque les engrais verts sont étendus sur le sol, au lieu d'y être enfouis, en plus d’assurer leur fonction nutritive, ils peuvent constituer un paillis empêchant la prolifération des mauvaises herbes. Dans des essais menés à l’Université du Manitoba, de la luzerne introduite dans une culture de blé en croissance a fourni de grandes quantités d'azote, a contribué à la rétention d'eau dans le sol et a généralement pris la place des adventices annuelles.
Au centre de recherches de Lethbridge d'Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), les résidus de mélilot jaune (restant après l'interruption de croissance) ont inhibé longtemps et très efficacement les mauvaises herbes. Les densités de plantes indésirables en avril, avant le semis de la culture de blé subséquente, étaient inférieures de 75 à 97 % dans les parcelles de mélilot jaune, comparé aux parcelles laissées en jachère (absence de traitement).
Les membres de la Grappe scientifique biologique (GSB), initiative de recherche financée par des fonds fédéraux, poursuivent leurs recherches. Ces recherches devraient apporter aux agriculteurs biologiques de nouvelles solutions pour nourrir et exploiter respectueusement leurs sols. Or les efforts fournis par les scientifiques de la GSB afin de trouver des moyens efficaces pour limiter, voire supprimer, le travail du sol commencent à porter fruit. De tels moyens permettraient notamment d’interrompre les cultures d'engrais verts et de les utiliser pour lutter contre les mauvaises herbes, préserver l'humidité des sols et former des paillis. Les premiers résultats émergent, mais la vérification des données prendra encore un certain temps. L’objectif est d'utiliser l'information produite par la recherche biologique pour aider les producteurs à réduire le travail du sol, tout en conservant la plupart des avantages du labour en production biologique.
Cet article a été rédigé par Brenda Frick pour le CABC grâce au soutien financier de la Grappe scientifique biologique du Canada (une partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du Cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et agroalimentaire Canada. La Grappe scientifique biologique est le fruit du travail de coopération accompli conjointement par le CABC, la Fédération biologique du Canada et les partenaires de l’industrie.