Les microorganismes du sol sont au cœur de la nouvelle révolution verte

Centre d'agriculture biologique du Canada

Chantal Hamel est formelle : « Il faut innover. L’azote contenu dans les engrais synthétiques est dérivé de procédés onéreux; quant aux réserves de phosphore, elles se comptent en décennies; il n’y en aura plus dans les mines. En plus, la culture des biocarburants fait désormais concurrence aux cultures alimentaires et mobilise sols et intrants. Et on devrait être 8 milliards d’habitants sur la terre dans une quinzaine d’années!»

La solution de rechange est de développer des pratiques culturales basées sur les propriétés et activités des microorganismes du sol pour permettre aux plantes cultivées de se nourrir efficacement; voilà ce qui passionne Chantal Hamel, une microbiologiste du sol qui travaille à Swift Current, en Saskatchewan, pour Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC).

Le concept à la base de son travail est fort simple; il repose sur l’association des champignons et bactéries du sol avec les plantes pour assurer leur survie mutuelle. La plante capte le carbone de l’air pour produire de l’énergie (sucre) par photosynthèse. Les champignons et bactéries, qui ne peuvent pas faire de photosynthèse, ont besoin de cette énergie; ils s’installent donc dans les racines des plantes pour capter les sucres fournis par la plante et lui donner en échange des minéraux qu’ils puisent à même l’air et le sol. La plante et ses associés microbiens y trouvent chacun leur compte et ce phénomène est gratuit, naturel, et ne nécessite aucune intervention humaine.

« L’azote fourni par les microorganismes ne coûte rien alors qu’il est très onéreux de mettre industriellement l’azote de l’air sous forme assimilable par les plantes. Cette opération se fait par l’application de très fortes pressions à des températures très élevées pour fixer l’azote de l’air, suivant le procédé Haber-Bosch, et l’énergie requise pour cette opération représente 70% du coût de l’engrais azoté obtenu. Pourtant, même s’ils fournissent gratuitement d’importants services, peu de gens s’intéressent à la vie des microorganismes » déplore Chantal Hamel. En effet, les microbiologistes du sol ne sont pas légion et les budgets de recherche d’AAC diminuent d’année en année; les chercheurs qui prennent leur retraite ne sont pas remplacés. Et il y a tant de travail à faire, confirme Chantal Hamel.

Chantal Hamel s’est intéressée aux champignons en se promenant dans la campagne de Rivière à Pierre, au nord de la ville de Québec où, enfant, elle passait l’été au chalet de ses grands-parents. Par la suite, plus attirée par la beauté du monde que par les mathématiques, elle s’est dirigée vers la ‘grande ville’ de Montréal.  Après quelques années sur le marché du travail, elle a repris ses études, cette fois en agronomie à McGill, car la nature et les besoins alimentaires de la planète l’intéressaient. Sa première session fut tout un défi: c’est qu’il lui fallait apprendre la langue de Shakespeare en même temps que les rudiments de l’agronomie. Puis elle a entrepris avec enthousiasme une maîtrise sur les champignons mycorhiziens grâce à une bourse du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG). Ce fut le début d’une longue quête scientifique sur le rôle des champignons microscopiques du sol, ces microbes minuscules difficiles à décompter et plutôt associés à la maladie qu’à la santé des sols. Sa thèse de doctorat traitait du transfert d’azote entre légumineuses fixatrices d’azote et graminées associées par les champignons mycorhiziens.

Pour survivre, les plantes ne peuvent pas se déplacer comme les animaux. Leur stratégie est donc de changer leur environnement, en attirant les organismes bénéfiques tels le rhizobium et les champignons mycorhiziens avec lesquels elles établissent des partenariats biologiques. Cette symbiose est très efficace; la plante est une source infinie d’énergie, car elle est branchée sur le soleil et elle se nourrit depuis les rayons solaires tout en nourrissant les champignons et le rhizobium logés dans ses racines. Mais cette symbiose  se développe peu quand des engrais azotés ou du phosphore sont appliqués : la plante n’a alors pas besoin de la symbiose et la réprime. Elle perd donc les bénéfices de cette association, pourtant gratuite, et les champignons bénéfiques du sol  ne se développent pas et pourraient même disparaître.

L’agriculture biologique repose en grande partie sur le développement de la richesse des sols pour en assurer la fertilité. Le sol vivant est celui qui abrite des milliards de microorganismes qui vivent en symbiose avec les plantes. Chantal Hamel a donc un projet de recherche avec la Grappe scientifique biologique, qui est de définir « Les outils de prévision servant à définir les contributions mycorrhiziennes à l’absorption de phosphore des cultures biologiques».  

« On commence à la base et recense les champignons dans les sols des champs de blé de divers sites (SK, NS, MB, AB, ON); le but est de comprendre ce qui se trouve dans les sols cultivés biologiques. Comme nous avons besoin de la collaboration des producteurs pour cueillir l’information sur les méthodes culturales employées et que les producteurs biologiques et les semenciers  tiennent des registres, on a pris le bottin des producteurs biologiques et de semences en distribuant les types d’échantillonnage dans divers types de sol dont la description est déjà documentée dans les bases de données fédérales. On étudie la teneur en champignons de ces  divers types de sols et on fait des modèles permettant de prédire la contribution probable des champignons dans un site donné à partir d’indicateurs. »

Savoir ce qu’il y a dans un champ est coûteux, car les champignons biotrophes des sols ne poussent pas en milieu de culture, seulement sur les plantes vivantes. Ils sont microscopiques et difficiles à recenser. Il faut donc prélever des échantillons qui seront tamisés, centrifugés, séparés suivant le poids des constituants et examinés au microscope; il est présentement impossible de procéder par l’analyse de l’ADN, car ces champignons ont dans leurs noyaux un nombre variable de copies de mêmes gènes, mais on cherche maintenant dans les organites des cellules, les mitochondries, un gène qui serait à copie unique. Certaines bactéries associées à la fixation de l’azote sont aussi très intéressantes, car elles stimulent la croissance des plantes; la recherche confirmera le potentiel de ces inoculants et sélectionnera les légumineuses les plus enrichissantes pour le sol et les cultures commerciales.

La symbiose champignon-plante est donc essentielle à la production biologique, où les plantes se nourrissent naturellement sans les déséquilibres écologiques engendrés par l’application des engrais de synthèse.

 « Il reste à convaincre l’industrie d’investir dans ce type de recherche. Les programmes de recherche d’AAC exigent de l’industrie un apport de 25% au financement des projets pour qu’ils soient acceptés. Il y a beaucoup de vulgarisation à faire pour  promouvoir des projets innovateurs dont la portée est à moyen ou à long terme; la société, les gouvernements et les producteurs non-biologiques sont plutôt courtisés par la puissante industrie agro-chimique » précise Chantal Hamel, qui observe la prévalence actuelle d’une vision à court terme dans tous les milieux.

Elle observe également que les gens ne font pas le lien entre le repas préparé et l’agriculture; en Saskatchewan, les aliments des épiceries sont pratiquement tous importés de la Californie, de la Chine ou de la Nouvelle-Zélande, ce qui ne peut être qualifié de consommation durable. La demande croissante d’huile de canola a promu le canola au rang de deuxième culture en importance en Saskatchewan après le blé et entraîné une faible diversification des cultures. Le canola GM ne « mycorhize » pas; la production devient donc de plus en plus dépendante des engrais synthétiques et la capacité du sol à fournir du phosphore s’en trouve réduite. Or, le phosphore constitue le problème majeur de la production, car il est peu soluble et très lentement disponible. Les champignons du sol le solubilisent pour le rendre disponible et permettent de faire  un usage ciblé, propre et efficace de cette précieuse ressource; voilà pourquoi il faut maintenir la biodiversité des sols.

L’été, Chantal admire les fleurs de son jardin de plantes indigènes qui ne requiert aucun soin. Elle observe les visons, canards et pélicans en faisant son jogging matinal le long de la rivière pour se rendre au travail et juge que la vie à Swift Current est vraiment très agréable.

Le matin même de son entrevue, elle a découvert un marqueur biochimique efficace pour quantifier les champignons mycorhiziens, un marqueur tellement parfait qu’elle en ressent une grosse émotion. « Parfois, on trouve! » affirme-t-elle joyeusement.


Cet article a été rédigé par Nicole Boudreau, Fédération biologique du Canada, pour le CABC grâce au soutien financier de la Grappe scientifique biologique du Canada (une partie de l’Initiative de grappes agro-scientifiques canadiennes du Cadre stratégique Cultivons l’avenir d’Agriculture et agroalimentaire Canada. La Grappe scientifique biologique est le fruit du travail de coopération accompli conjointement par le
CABC, la Fédération biologique du Canada et les partenaires de l’industrie.